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Inutile de revenir une fois de plus sur les caractéristiques du festival, sur la pléthore de films, l'absence réelle de débouchés pour beaucoup d'entre eux, l'artifice d'une façade brillante qui recouvre une distribution et une exploitation malades : tous problèmes trop vastes et complexes pour être traités ici. Comme exposition du cinéma mondial, Cannes une fois de plus a rempli son rôle : tous les courants y étalent représentés et, phénomène nouveau, un divorce plus grand se faisait sentir entre critique et public. Maurice Bessy, nouveau secrétaire général, avait voulu, adroitement de son point de vue, contenter les tenants satisfaits de la médiocrité « commerciale » et les cinéphiles plus exigeants. D'où un mélange détonnant qui a toujours existé bien sûr dans ce type de compétition mais qui, plus net encore cette année, faisait l'effet pour les festivaliers d'une douche écossaise, le meilleur côtoyant le pire, ce meilleur et ce pire n'étant pas les mêmes pour tout le monde. Après une semaine de films étrangers riches en audaces de toutes sortes, en accomplissements certains, les critiques faisaient un sort justifié à Chère Louise et aux Feux de la Chandeleur, devenus boucs émissaires d'une production sans imagination et sans force, tandis que le public cannois applaudissait (1) le soir ces purs produits de l'intelligence française. Mais Positif aurait du mal à critiquer la moitié d'un menu officiel que nous aurions pu préparer puisque s'y retrouvaient une dizaine de cinéastes défendus ici depuis longtemps : John Huston, Elia Kazan, Michel Soutter, Robert Altman, Miklos Jancso, Peter Fleischmann, Francesco Rosi, Sydney Pollack, Federico Fellini, Maurice Pialat, même si nous enregistrions sans plaisir la chute (provisoire sans doute) des Skis (Polanski, SkolJmowski, Tarkovski) sur le terrain glissant de l'adaptation shakespearienne, de la farce boulevardière, et de la science-fiction « pensante ». Comme pour se faire pardonner de transformer le metteur en scène en superstar, le comité de sélection nous infligeait des ?uvres d'une consternante médiocrité : comment expliquer que Mimi Metallurgico ait pu être préféré aux derniers films de Bellocchio (In Nome del Padre) ou de Ferreri (Melampo, l'Udienza), ou To Find a Man de Buzz Kulik à Deliverance de John Boorman ou encore The Ruling Class à Family Life de Ken Loach, sensation de la Quinzaine des Réalisateurs, et même La Vraie Nature de Bernadette de Gilles Caries (Canada), comédie paysanne assez pataude à La Maudite Galette, satire féroce et contrôlée. Encore une fois aucun critère ne semble présider à la sélection, sinon celui de se garder de tous côtés. La composition du jury rendait hommage encore plus ouvertement cette année à la Politique des auteurs, puisque s'y côtoyaient Mark Donskoï, Milos Forman, Alain Tanner, sous la présidence de Joseph Losey. Devant l'autorité de ses membres, on a peine à comprendre certaines de ses décisions : l'oubli par exemple de Kazan et de ses Visitors (l'auteur d'America America serait-il victime à son tour d'on ne sait quelle liste noire ?) tout comme celui des Arpenteurs de Soutter (tourné aussi en 16 mm, format excluant peut-être toute récompense), pour ne pas parler de Jeremiah Johnson, meilleur film de Pollack ni des Cloches de Silésie de Peter Fleischmann. Quant au Grand Prix du Jury à Solaris, frôlant une Palme d'Or qu'on avait, paraît-il, assurée à l'URSS, cela fait partie de ces consolations diplomatiques que nous ne qualifierons pas de scandaleuses pour ne pas être taxé d'anti-communisme. Le partage ridicule de la distinction suprême entre La Classe Ouvrière va au Paradis et L'Affaire Mattei est encore plus inexplicable. Un fossé sépare l'épaisse satire de Petri, confuse et racoleuse, et le film de Rosi, digne, ô combien, de la Palme d'Or, si celle-ci récompense un grand cinéaste en pleine possession de ses moyens, et une ?uvre ambitieuse et achevée, comme l'an dernier Joseph Losey et son Go-Between. Ce n'est pas tant le cinéma italien comme on l'a écrit un peu partout (à cause sans doute de ces deux films magistraux que sont Roma et L'Affaire Mattei) qui frappa par sa richesse, mais comme d'habitude le cinéma américain, dominant la Semaine de la Critique avec quatre films sélectionnés sur huit, tout comme la Quinzaine des Réalisateurs. Encore faut-il noter que certains films remarquables comme le western Dirty Little Billy, le documentaire sur les thérapies de groupe, Childhood II ou la cure psychanalytique filmée dans The Inner Revolution furent éliminés des diverses manifestations cannoises pour ne pas donner aux productions d'Outre-Atlantique une place envahissante.