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LARGEMENT MÉCONNUE MALGRÉ un certain nombre d'études parues depuis les années 19901, et difficile d'accès (car peu rééditée), l'oeuvre protéiforme de Valentine de Saint-Point cristallise certaines tensions constitutives du champ culturel français des premières décennies du XXe siècle. La trajectoire de cette figure hors du commun est en effet sous- tendue par une contradiction, apparente à tout le moins, entre le caractère résolument avant-gardiste de nombre de ses modes d'intervention (mani- festes, expositions, danse et performance) et des références récurrentes à des principes conçus et présentés comme intemporels, dont la société occidentale moderne serait dépourvue et qu'il conviendrait de revivifier. Le départ de l'auteure-artiste en 1924 pour l'Égypte, où elle acheva ses jours, s'inscrit dans la continuité de ce désir de ressourcement civilisationnel. Il prit la forme d'un investissement culturel ponctué par une conversion à l'Islam, accompagnée de l'adoption d'un nouveau nom (Rawiha Nour Eldine)2.
L'avant-gardisme saint-pointiste est marqué par une aspiration régénéra- tive qui traverse une large part du modernisme européen. En France comme dans le reste de l'Europe, cette volonté de renouveau structure les imaginaires et le discours social dès la fin du XIXe siècle3. En même temps, le positionne- ment de Valentine de Saint-Point dans le champ de la Belle Époque, où elle fit ses débuts littéraires en même temps que d'autres femmes auteurs telles que Colette, Anna de Noailles, Renée Vivien, Gertrude Stein et Djuna Barnes, n'est guère progressiste. À travers sa parole publique, elle s'inscrit au contraire dans un espace idéologique qui touche à bien des égards à l'arrière- garde comprise comme résistance à la modernité4. De la part de celle que Marinetti désigna comme la « première femme futuriste »5, cet appel à des valeurs comme la « force », l'« instinct » ou la « nature » se conjugue avec une posture quelque peu iconoclaste, en particulier quant à la morale chré- tienne et à l'hypocrisie bourgeoise.
Ses idées provocatrices, énoncées sans tabou, tout particulièrement dans quelques manifestes et autres textes brefs à caractère pamphlétaire, témoignent du paradoxe qui sous-tend chez Saint-Point les relations entre perpétuation d'une tradition, rupture avant-gardiste et reconfiguration des identités. En conséquence, la question qui se pose est de savoir comment rendre compte d'une stratégie de positionnement conjuguant un rapprochement avec l'avant- garde futuriste...