Content area
Full Text
Introduction : l'esprit conjectural par delà la question de la certitude
Le siècle des Lumières se méfie des hypotiièses appelées par l'esprit de système, mais se développe aussi à cette époque un esprit conjectural d'un genre nouveau. Les penseurs des Lumières établissent alors des distinctions entre les types d'hypothèses, leurs fonctions et leurs usages. Ainsi, dans son Traité des systèmes, Condillac propose trois types de systèmes selon leur usage des principes : les systèmes philosophiques traditionnels reposent sur un principe abstrait posé a priori qui sert de fondement à tout l'édifice ; les systèmes physiques par hypotiièses gratuites font de même à partir de prémisses posées à titre hypothétique mais jamais réellement remises en questions ; les systèmes par hypotiièses légitimes ramènent les hypotiièses à des faits établis, les expériences permettant à la fois de construire et de tester le système.
Mais l'intérêt du Traité des systèmes réside peut-être moins dans cette distinction générale, assez largement suivie au siècle des Lumières et dont les prémisses remontent au moins à Fontenelle, que dans la complexité et les ambivalences de la troisième catégorie. Car elle englobe des modèles très différents, et avec eux des traitements de l'hypothèse très variables : au premier paradigme de Condillac, l'astronomie, valant par la manière dont on peut établir les faits servant d'hypothèses et tester ces dernières empiriquement avec une certitude quasi aritiimétique, s'associent des exemples de sciences plus expérimentales, où il s'agit moins d'observer que de construire par variation une histoire expérimentale. Tel est le sens de Γhistoire instrumentale et expérimentale de la pompe aspirante et de ses suites jusqu'à la pompe à air de Boyle, pris comme exemple dans le chapitre XVI. Dans cette histoire, le principe posé par Condillac contre l'esprit de système, à savoir l'explication d'un fait par un autre fait, se déploie sans se réduire au modèle des sciences physico-matiiématiques. Il se distingue par là de d'Alembert, pour qui ce principe revient à la démonstration par le calcul dans un cadre physico-mathématique, ou se réduit à la mise en ordre d'un recueil de faits ne pouvant prétendre au titre de science1. Mais tout en valorisant autant la puissance heuristique de son principe que sa valeur démonstrative, et en mobilisant des exemples expérimentaux irréductibles à la physique mathématique,...