Content area
Full Text
Mon Roland Barthes n'est pas l'homme d'un roman toujours en préparation à quoi l'époque a tendance à le réduire. Mon Roland Barthes, celui qui me manque cruellement, c'est une voix qui faisait de l'intelligence un exercice heureux de radicalité critique.
« On est essayiste parce qu'on est cérébral », confessait Roland Barthes dans un de ses entretiens. C'est sans doute à cette « cérébralité » qu'il doit, pour notre plus grand plaisir, d'avoir pu non poétiser1, mais, ce qui procède d'une toute autre démarche, intellectualiser le réel. Ce fut là sa plus grande constante.
« Ce qui m'a passionné toute ma vie, c'est la façon dont les hommes se rendent leur monde intelligible. C'est, si vous voulez, l'aventure de l'intelligible, le problème de la signification. » Nous sommes en 1962 et Roland Barthes répond à Pierre Fisson qui l'interroge pour le Figaro Littéraire. L'article s'intitule: « Les choses signifient-elles quelque chose?2 » et il traite de la nouveauté du nouveau roman.
« Passion constante (et illusoire) d'apposer sur tout fait même le plus menu, non pas la question de l'enfant : "pourquoi?", mais la question de l'ancien Grec, la question du sens, comme si toutes choses frissonnaient de sens: "qu'est-ce que ça veut dire?" » Pour répondre à la question il faut à tout prix transformer le fait en idée, en description, en interprétation, bref lui trouver, comme le dit Roland Barthes, « un autre nom que le sien. » Nous sommes en 1975 et Roland Barthes écrit sur Roland Barthes3. Le fragment s'intitule: « Qu'est-ce que ça veut dire? » Entre ces deux confessions une aventure intellectuelle (le mot « aventure » est de Barthes) : la rencontre jubilatoire avec la sémiologie. Cette discipline dont l'advenue avait été prophétisée par Saussure dans son cours de linguistique générale venait à point nommé concilier (réconcilier peut-être) chez Roland Barthes, le goût du classement et la passion du sens.
J'ai été, en France, l'un des tout premiers témoins de l'aventure — ou de l'itinéraire sémiologique. cela a même commencé pour moi avant la lettre, avec Le Degré zéro de l'écriture, […] qui était un discours sur les formes du langage littéraire et une tentative pour mettre en rapport, d'une façon...