Content area
Full Text
Penser à Christian Delacampagne, à sa critique du philosophe dans son rapport à la vérité et au pouvoir, et finalement dans son rapport au jugement, c'est penser, encore une fois, à ces paradoxes qui minent tout rapport entre pensée conceptuelle et pratique historique ; paradoxes, dont le premier est le rapport symbiotique entre le philosophe et le tyran, rapport qui hante notre raison métaphysique et notre raison agissante (engagée) depuis Platon et Aristote, sans trêve aucune. Christian n'avait pas pu résoudre ces paradoxes, bien sûr. Mais il a su les pointer avec une persistance courageuse tant au niveau conceptuel qu'au niveau personnel, étant lui-même après tout un philosophe à la fois engagé et tourmenté par la déontologie de son engagement. Et, chemin faisant, sans s'effrayer, il a su heurter les idées du temps, celles qui sont devenues canoniques dans notre monde qui se veut séculaire, voire même libertaire ; ce monde qui sombre inéluctablement dans la pensée unique et dans un politiquement correct paralysant, sorte de suicide intellectuel collectif qui n'a eu de cesse de tourmenter Christian jusqu'aux derniers jours de sa vie1.
Dans cet hommage à Christian, écho d'une conversation animée - notre dernière - je me limiterai à commenter deux chapitres particulièrement complexes. Le premier et le plus important « La Violence du concept » se trouve dans Le Philosophe et le tyran, histoire d'une illusion, tandis que le deuxième chapitre - critique sans pitié de Michel Foucault intitulée « La Guerre des races » - se trouve dans De l'indifférence, essai sur la banalisation du mal2. Ces chapitres sont, comme on le verra, intrinsèquement liés l'un à l'autre.
Ayant fait dans Le Philosophe et le tyran l'historique des liens multiples entre philosophes et tyrans - dont il est inutile de dresser ici le triste bilan -, Christian se demande comment et pourquoi il y eut de tout temps, irrémédiablement, des philosophes dupes de la tyrannie, quand ils n'en furent pas des adorateurs tout court. C'est ici un moment décisif dans le parcours intellectuel de Christian Delacampagne ; c'est le moment où il refuse de se raconter des histoires sur les « dérives », « bavures » et « dérapages » commis par tant de philosophes. L'heure des balivernes lénifiantes est passée. Il...